swarming d'éphémères


Photo des auteurs de l’étude Szaz et al., 2015

La presse régionale des Pays de la Loire vient de faire écho à un phénomène spectaculaire à Sablé-sur-Sarthe : des millions d’insectes tourbillonnants en soirée autour des lampadaires et mourants sur les trottoirs. Un article et une vidéo y ont été consacré. Analyse.

Des insectes très éphémères

illustration éphémère

Une éphémère, par pixabay_naobim

Bien connues des pêcheurs, les éphémères sont des insectes ailés. Leur cycle se déroule sur une année. Après la ponte en été, l’œuf entre en diapause jusqu’au printemps, puis la larve se développe dans les sédiments au fond de l’eau des rivières calmes. L’espèce qui nous intéresse ici est Ephoron virgo. Les adultes émergent massivement en quelques jours (phénomène qualifié de swarming par les anglo-saxons) : les nymphes montent à la surface de l’eau et se métamorphosent en adultes lors de quelques soirs d’été. Après accouplement, les femelles pondent à la surface de l’eau. Ensuite, mâles et femelles meurent rapidement, ce qui leur vaut le nom d’éphémères. Poissons, oiseaux, batraciens et chauves-souris profitent de cette nourriture abondante.

Exploitation de la « manne blanche »

« En France l’Ephemera virgo est parfois assez abondante, au bord des rivières, pour présenter, comme le dit Latreille, l’apparence d’une neige épaisse et tombant à gros flocons » (Charles d’Orbigny (dir.), Dictionnaire universel d’Histoire naturelle, t. V, Masson 1844).

 Cette « manne blanche » comme on l’appelait, était déja exploitée au XVIIème siècle comme engrais, puis commercialement en France à partir des années 1930. Séchés, les insectes étaient vendus à des grainetiers pour l’alimentation des oiseaux d’élevage. On se servait du pouvoir d’attraction de la lumière pour les attirer avec des torches ou des phares de voitures. Un article de Nicolas Césard, paru dans Études Rurales en 2010 retrace cette histoire.

Années 80 : le déclin des populations

A partir des années 80 le commerce de la « manne blanche » perd de son intérêt du fait d’une moindre abondance des éphémères. La dégradation des habitats aquatiques et différentes pollutions ont diminué drastiquement les populations, ce qui a conduit l’UICN et le Muséum National d’Histoire Naturelle à publier en 2018 une liste rouge des Ephémères de France métropolitaine. A ce propos, un article paru dans Libération rapporte la disparition des éphémères aux abords des lacs comme ceux du lac d’Annecy à cause de la pollution lumineuse émise par l’éclairage urbain.

Pondre sur le bitume : un comportement totalement anormal

Au vu des nombreux témoignages sur leur régression, on peut se réjouir de voir à nouveau des émergences massives d’Ephoron virgo. D’après la liste rouge, l’espèce n’est pas menacée actuellement mais l’évolution de ses populations est inconnue. Les efforts pour l’amélioration de la qualité des cours d’eau payent probablement. En revanche, on ne peut que s’inquiéter de voir ces mortalités massives sous les luminaires avec des femelles qui viennent par millions pondre sur le bitume (les œufs sont ces petits sacs jaunes que l’on voit sur les photos) Ce comportement totalement aberrant est une impasse démographique qui interroge l’avenir local de l’espèce. Quelle est la raison qui pousse ainsi les femelles à compromettre leur progéniture ?

Impact de la lumière polarisée

Il est connu que de nombreux insectes nocturnes sont attirés par la lumière artificielle nocturne. Tout le monde a fait l’expérience de papillons de nuit entrant le soir par les fenêtres ouvertes. Moins connu est le rôle de la lumière polarisée, qui nous est invisible à moins d’utiliser un filtre polarisant, sur l’orientation de nombreuses espèces. De nombreux matériaux créés par l’homme, comme les vitres, l’asphalte ou les voitures, émettent lorsqu’ils sont éclairés, une lumière polarisée horizontale qui imite la surface de l’eau. Ce phénomène a surtout été étudié de jour, jusqu’à ce qu’une équipe de chercheurs hongrois s’intéresse à la mortalité massive d’éphémères sur un pont éclairé du Danube (Szaz et al., 2015).
Les chercheurs ont mis en évidence l’interaction entre l’attraction connue des insectes à la lumière artificielle et l’attraction à la lumière polarisée réfléchie par des matériaux éclairés, comme le bitume de la route.

illustration traduite de l’article de Szaz et al, 2015

Attraction des insectes sensibles aux lumières polarisées par interaction des sources artificielles nocturnes de lumière non polarisée et polarisée horizontalement. Les sources de lumière non polarisée (par exemple, les lampadaires) peuvent attirer directement les insectes polarotactiques (= sensibles à la lumière polarisée) nocturnes perchés ou volants (comme l’éphémère Ephoron virgo). Par ailleurs, la lumière non polarisée du lampadaire peut devenir polarisée horizontalement par réflexion sur des surfaces lisses et sombres comme l’asphalte, simulant ainsi l’apparence d’un plan d’eau (d’après Szaz et al., 2015).

Les insectes sont leurrés à la fois par l’éclairage qui stimule leur capacité à s’orienter à la lumière lunaire (voir vidéo des auteurs sur l’impact d’une lame torche) et par la lumière polarisée qui imite la surface de l’eau. Ces phénomènes conjugués conduisent à des attractions massives sous les lampadaires et à des pontes de millions d’œufs sur l’asphalte (voir la vidéo des auteurs).

Des solutions pour réduire les impacts

La meilleure des solutions, lorsque ce cela est possible, est de supprimer les sources de lumière à proximité des rivières. Lorsque cela n’est pas possible pour des raisons de sécurité ou parce que l’éclairage est nécessaire au sein de zones urbanisées, une extinction temporaire ou une forte diminution d’intensité, temporaire ou non, peut rendre l’éclairage moins attractif pour les éphémères. La détection des premiers individus pourrait enclencher des mesures temporaires sur l’éclairage public et ainsi éviter les hécatombes d’insectes.

Il est a craindre que la conversion de l’éclairage public vers des LED (sauf exception, voir ci-après) n’accentue le phénomène car il est effectivement avéré que ce type de lumière exerce un plus fort pouvoir d’attraction sur les insectes. En cas de rénovation de l’éclairage public, des LED ambres à spectre le plus étroit possible auront globalement moins d’impacts négatifs sur la faune que des LED à spectre large qui comportent des courtes longueurs d’ondes.

Cet évènement marque les esprits et impacte les habitants dans leur vie quotidienne. Il est également le signe d’un dérèglement écologique dont les causes ont pu être comprises grâce à des travaux de recherche scientifiques. Le porter à connaissance de ces travaux peut permettre aux acteurs concernés d’agir pour la conservation des espèces tout en évitant des désagréments aux populations.
Athena-Lum propose des conseils aux collectivités et des formations sur la prise en compte des impacts écologiques de l’éclairage artificiel nocturne.