Le rapport de l’ANSES « Effets sur la santé humaine et sur l’environnement (faune et flore) des diodes électroluminescentes (LED) », très attendu depuis 2 ans, est enfin sorti !
Le rapport est principalement axé sur la santé humaine mais, au vu des préoccupations environnementales croissantes, l’ANSES a étendu ce travail aux questions de l’impact sur le vivant en général. Ceci est particulièrement important dans le contexte de généralisation des LEDs et de régression de la biodiversité.

Un rapport remarquable et riche en informations, qui mérite d’être lu
Tout le monde n’est sans doute pas prêt à prendre le temps de lire les 458 pages du document publié, et c’est compréhensible ! La plupart des articles parus dans la presse sont donc basés sur le communiqué de presse ou, au mieux, sur le dossier de presse, qui se focalisent sur la lumière bleue et les impacts sur l’homme. Malheureusement, dans un cas comme dans l’autre, le message est réducteur comparativement à la richesse du contenu du rapport et, osons le dire, parfois un peu orienté. Les impacts sur les non-humains sont évoqués rapidement et les autres impacts comme celui sur le ciel nocturne, ou l’analyse du cycles de vie des produits, n’y sont pas abordés.
La presse a ainsi généralement fait l’impasse sur des éléments essentiels concernant les impacts environnementaux.

Qui souhaite se faire une idée objective, aura donc tout intérêt à consulter le rapport in extenso.
Pour aider le lecteur courageux, voici quelques explications utiles : le document pdf comprends l’avis officiel de l’ANSES (les 30 premières pages), dont les recommandations de l’Agence, puis le rapport (les pages 33 à 458). Ce rapport comporte lui-même une synthèse (identique à l’avis) ainsi qu’une conclusion assortie de recommandations du groupe d’expert. Il y a donc pas mal de redites dans ce document volumineux, qui peuvent perdre le lecteur. Les  annexes sont dans un document séparé.
Le rapport est basé sur une synthèse bibliographique de qualité qui met à disposition des non anglophone les résultats de nombreuses publications scientifiques. L’analyse est rigoureuse et emploie à dessein le conditionnel quand les certitudes ne sont pas acquises.

Une sortie tardive
Comme le souligne l’avis, la recherche bibliographique a été menée sur une période qui s’étend de janvier 2010 à juillet 2017. Ponctuellement quelques études importantes plus récentes ont été intégrées par le groupe d’expert, même si les références ne figurent pas toujours dans la bibliographie (ex. : Kyba et al, 2017. Artificially lit surface of Earth at night increasing in radiance and extent. Science Advances, ou Kinsey 2017. An Investigation of LED Street Lighting’s Impact on Sky Glow. U.S. Department of Energy).
Plus gênant, cette parution tardive rend le paragraphe sur la réglementation obsolète, l’arrêté du 27 décembre 2018 n’y figurant pas. Des personnes peu au fait de cette évolution majeure de la réglementation de la pollution lumineuse, pourraient être induites en erreur en considérant ce rapport comme une synthèse à jour.

Impact sur la biodiversité
Le rapport démontre l’impact de l’éclairage nocturne, dont les LEDs, sur la biodiversité. Il rappelle que les réponses à l’alternance jour-nuit sont « le résultat de millions d’années d’adaptation ayant conduit à la mise en place de stratégies qui permettent aux organismes d’adapter leurs fonctions vitales à la nature et aux variations de l’éclairage naturel. ».
Les mécanismes physiologiques mettant en œuvre la mélatonine (hormone inhibée par la lumière bleue) sont largement présents chez l’ensemble des vertébrés, et des horloges biologiques pilotées par la lumière existent également chez les végétaux et les champignons. Les systèmes de vision présentent également un certain nombre de points communs au sein du règne animal.
Le rapport analyse un nombre important de publications scientifiques qui concluent à l’impact négatif avéré de la lumière artificielle la nuit sur les espèces et les écosystèmes, avec « une augmentation de la mortalité et un appauvrissement de la diversité des espèces animales et végétales ».

L’impact spécifique potentiel des LEDs est lié à la question de leur intensité et à la répartition spectrale de la lumière. Comme le montre le rapport, les sensibilités spectrales sont variables d’une espèce à une autre ; ainsi, plus le spectre est large (lumière blanche), plus le nombre d’espèces potentiellement impacté est important. Gaston et al. notent ainsi dans une publication de 2013 que l’évolution vers un éclairage blanc à spectre plus large et plus riche en bleu, comme celui des LEDs blanches, a, potentiellement, un impact écologique plus grand.
Ces résultats plaident en faveurs d’éclairages les moins blanc possibles, que ce soit avec des LEDs ou avec des sources conventionnelles.

Un chapitre surprenant sur la pollution lumineuse
Le rapport rappelle que le terme « pollution lumineuse » comprend :
– le halo lumineux qui transmet au loin les impacts de l’éclairage et qui voile le ciel,
– les impacts sur l’homme (santé, inconfort…),
– les impacts sur les autres espèces et les écosystèmes.

Il rappelle également de manière pertinente les facteurs d’influence :
– la quantité globale de lumière émise (puissance et nombre de sources),
– la quantité de lumière qui se disperse vers le haut,
– la répartition spectrale de la lumière,
– la temporalité de l’éclairement (heures de fonctionnement et variation d’intensités).

Suite à ces constats, le rapport fourni une évaluation « à dire d’expert » concernant les impacts sur le halo nocturne, les « nuisances » sur l’homme et les écosystèmes et la biodiversité. C’est ici que cela devient surprenant car le travail scientifique et rigoureux des chapitres précédents laisse place à des arguments partiaux et non étayés assez déconnecté des chapitres traitant spécifiquement de ces impacts.
Sans entrer dans le détail, on peut ainsi lire, à titre d’exemple, dans les tableaux de synthèse par type d’éclairage (pages 278, 281 et 284) :

– qu’en éclairage public, l’évolution du passage aux LED est favorable à la réduction du halo lumineux, aux effets sur l’homme et aux écosystèmes et à la biodiversité, grâce à la directivité et au contrôle électronique. Cette affirmation est en contradiction avec plusieurs études citées par ailleurs : celle de Falchi et al, 2016 (p. 313) qui montre l’augmentation du halo lumineux avec une simulation d’un changement de l’éclairage public au profit de LEDs blanches ; celles sur le vivant qui montrent la complexité du sujet (exemple des insectes volants attirés par la lumière de nuit : 48 % fois plus de captures avec des LEDs 4000K qu’avec des lampes au sodium haute pression – p331 ; exemple des chauves-souris à vol lent comme les Rhinolophes ou les Murins qui réduisent leur activité en présence de LEDs blanches, y compris à des éclairement très faible de 3,6 lux – p. 333).
L’impact du passage en LEDs blanches est de plus aggravé en milieu urbain avec une certaine tendance vers des sols très clairs qui renvoient la lumière vers le ciel.

– qu’en ce qui concerne les phares de voitures les experts affirment qu’il n’y a pas d’évolution ni positive ni négative vis à vis de la pollution lumineuse avec le passage en LEDs car « les technologies actuelles des lampes automobiles à décharge (xénon) sont déjà plus riches en bleu que l’halogène ». Cette comparaison est pour le moins abusive, les phares au xénon ayant toujours été très minoritaires par rapport aux phares halogènes. Les lampes à LEDs en revanche deviennent maintenant le standard du parc automobile et la dispersion de lumière blanche à forte luminance augmente donc de manière importante ; leur longue portée touche les écosystèmes dans l’environnement du réseau routier.

Le cycle de vie des LEDs : toujours des inconnues
Le cycle de vie d’un produit comprend toutes les étapes, de l’extraction des matériaux nécessaire à sa fabrication jusqu’à sa fin de vie et son recyclage éventuel. L’analyse du cycle de vie (ACV) cherche à évaluer les impacts environnementaux de tous les stades du cycle de vie.
Le groupe d’expert, en se basant sur une analyse bibliographique, conclu que les sources lumineuse à LEDs ont les impacts environnementaux sont les plus bas. Ils expliquent ce résultat par une durée de vie importante et un rendement lumineux en lumen/Watt plus important.
Cette affirmation est à nuancer pour plusieurs raisons :
– les experts notent eux même les lacunes de l’analyse en ce qui concerne les impacts sur le vivant et la pollution lumineuse,
– ils notent également la difficulté d’obtenir des informations précises de la part des fabricants sur les étapes de fabrication du fait des secrets industriels ,
– l’impact de la consommation des terres rares (l’indium pour les semi-conducteurs, les métaux rares contenu dans les luminophores) dont on connaît les impact environnementaux des extractions en Chine, ne sont pas pris en compte car les données sont peu accessibles (cf le film « La sale guerre des terres rares »),
– l’impossibilité actuelle d’un recyclage viable économiquement en fin de vie du fait de la forte imbrication des différents matériaux.

Au vu de ces éléments, l’impact environnemental global du cycle de vie des LEDs, comparativement aux autres sources de lumière, doit être réévalué.

Des amalgames entre LEDs domestiques et LEDs de fortes puissances
Le rapport revient régulièrement sur l’efficacité lumineuse (en lumens produits / Watt consommés) plus importante des LEDs par rapport aux autres sources lumineuses.
Le rapport de l’ANSES de 2010 avait développé un intéressant chapitre technique sur l’éclairage LED et leur efficacité lumineuse ainsi que sur les facteurs limitants. Des scénarios d’évolutions étaient présentés pour les 10 années à venir. Quels sont, 9 ans plus tard, les évolutions réelles et constatés de la technologie ?  Le rapport ne donne pas de réponse. A défaut, on pourra néanmoins se référer l’avis de l’ADEME de 2017 sur l’éclairage à LEDs  : « Les luminaires LED sont encore mal adaptés à l’éclairage de grande hauteur de forte puissance en raison de la surchauffe que peut entraîner l’utilisation de nombreuses LED accolées. ».

Il est regrettable que le rapport ne différencie pas les LEDs domestiques des LEDs de forte puissance utilisées en éclairage public comme le fait l’ADEME dans son avis. En effet, le rendement lumineux des LEDs chute avec la puissance  : en d’autres termes, une LED remplace avantageusement, du point de vue énergétique, une ampoule à incandescences ou même une fluo-compacte domestique, mais non une sodium haute pression moderne pour l’éclairage public ; ceci d’autant plus que la limitation de température de couleur imposée par la récente loi pour les nouvelles installations vient encore réduire leur efficacité lumineuse.
L’intérêt principal des LEDs en éclairage public réside dans leur capacité à être fortement gradables en intensité et à pouvoir être couplées à des détecteurs de présence, mais ceci a un coût et n’est pas forcement utile partout.

Vers une vision plus globale
En éclairage domestique le passage en LED peut se faire par simple changement d’ampoule ; le marché est fourni en produits imitant parfaitement les anciennes ampoules à incandescence et  on n’y voit quasiment que du feu. En éclairage public, en revanche, le passage en LED se traduit dans la plupart des cas par la mise au rebut de tout ou partie du luminaire et on peut légitiment se poser la question du bilan énergétique global du remplacement d’un matériel qui fonctionne. Cet aspect n’est pas pris en compte dans le calcul des gains qui se limitent toujours à la consommation en fonctionnement.

Il est légitime également de s’interroger sur la dépendance des LEDs aux métaux rares, aux impacts environnementaux de leur extraction évoqué plus haut, et aux impacts géopolitiques qu’entraîne notre dépendance à leur égard vis à vis de la Chine. Un récent ouvrage « La guerre des métaux rares » est très explicite sur ce sujet.

Conclusions / perspectives
Du point du vue de la protection de la biodiversité et de l’environnement nocturne, quelques points de l’avis de l’ANSES et des recommandations du groupe d’experts méritent d’être soulignés et, surtout, appliqués.

Pages 20 et 26 de l’avis :

– « effectuer, là où l’éclairage s’impose, une étude d’impact de cet éclairage sur l’écosystème local dans les zones naturelles et périurbaines » ;

– « limiter le nombre d’installations lumineuses en extérieur, de réduire les surfaces des zones éclairées au strict nécessaire »  ;

– renforcer la prévention de la pollution lumineuse et faire respecter la réglementation.

Pages 365 à 367 du rapport (recommandations des experts) :

– « pour l’éclairage public : de promouvoir une gestion intelligente (détection, programmation, gradation, abaissement nocturne), le contrôle précis de la directivité (pas de lumière vers le ciel), l’abaissement des températures de couleur, rendus possibles par la technologie LED »  ; à noter que les lampes à décharge au sodium haute pression modernes répondent également en grande partie à ces spécifications ;

– « pour l’éclairage de mise en valeur architecturale et paysagère : de limiter le nombre d’installations lumineuses, diminuer les niveaux de luminance, utiliser moins de lumière bleue »  ; du fait de la sortie tardive du rapport, cette préconisation n’a malheureusement pas pu être intégré dans l’arrêté du 27 décembre 2018 qui ne fixe aucune de ces limites ;

– « pour les enseignes et affiches lumineuses : de limiter le nombre d’installations lumineuses, diminuer les niveaux de luminance, utiliser moins de lumière bleue, éteindre ces installations pendant la nuit » : au vu des dérives constatées sur le terrain, il est effectivement urgent de légiférer ;

– « réduire les surfaces des zones éclairées au strict nécessaire » et « éteindre aux périodes les plus creuses de la nuit » : du bon sens qui rejoint également les économies d’énergie ;

– « créer des espaces protégés (NDLR : de la lumière) en particulier dans les zones naturelles et périurbaines »  . NB : il s’agit ici de préserver une trame noire ;

– en ce qui concerne les serres agricoles, il convient de s’assurer « du bon confinement, quand cela est possible, n’entraînant pas une pollution lumineuse supplémentaire vers l’extérieur. ». Voir ici un exemple de serres bretonnes qui montre les dérives actuelles ;

– enfin, « le groupe de travail souligne la nécessité de sensibiliser les décideurs et la population sur les impacts négatifs de la lumière artificielle sur tout le vivant (afin d’en limiter l’usage) et sur les avantages économiques qu’ils peuvent tirer d’une gestion adaptée. Ce n’est qu’avec une compréhension claire et globale de ces problèmes que des stratégies de gestion efficaces pourront être développées. ». Cette dernière recommandation ne saurait mieux illustrer l’objectif que s’est donné Athena-lum !